#1651 Le 08/05/2020, à 06:45
- Compte supprimé
Re : La p'tite heure du café philo
murph a écrit :side a écrit :La dernière fois que je suis allé chez lui y'avait un portrait de Louise Michel accroché dans le salon !
Ah oui, juste au dessus du canapé en skaï.
Mais tout ceci est hyper drôle ! Un portrait de Louise Michel, un canapé en skaï...
Rappel : ici ce n'est pas une cour de récréation de collège.
T'as raison, vu le niveau de tes posts ce serait plutôt la maternelle.
#1652 Le 08/05/2020, à 06:55
- GR 34
Re : La p'tite heure du café philo
GR 34 a écrit :murph a écrit :Ah oui, juste au dessus du canapé en skaï.
Mais tout ceci est hyper drôle ! Un portrait de Louise Michel, un canapé en skaï...
Rappel : ici ce n'est pas une cour de récréation de collège.T'as raison, vu le niveau de tes posts ce serait plutôt la maternelle.
Mon rappel était donc justifié, tu as le QI déplorable d'un ado boutonneux qui passe son temps à harceler.
Karantez-vro... Breizhad on ha lorc'h ennon !
«Les animaux sont mes amis. Et je ne mange pas mes amis.» George Bernard Shaw
https://www.l214.com/
En ligne
#1653 Le 08/05/2020, à 07:04
- Compte supprimé
Re : La p'tite heure du café philo
murph a écrit :GR 34 a écrit :Mais tout ceci est hyper drôle ! Un portrait de Louise Michel, un canapé en skaï...
Rappel : ici ce n'est pas une cour de récréation de collège.T'as raison, vu le niveau de tes posts ce serait plutôt la maternelle.
Mon rappel était donc justifié, tu as le QI déplorable d'un ado boutonneux qui passe son temps à harceler.
Allez Tatie Danièle, soit gentil pour une fois.
J'suis sûr que t'es grognon parce que t'as un canap' en skaï.
Dernière modification par Compte supprimé (Le 08/05/2020, à 07:05)
#1654 Le 08/05/2020, à 07:18
- GR 34
Re : La p'tite heure du café philo
GR 34 a écrit :murph a écrit :T'as raison, vu le niveau de tes posts ce serait plutôt la maternelle.
Mon rappel était donc justifié, tu as le QI déplorable d'un ado boutonneux qui passe son temps à harceler.
Allez Tatie Danièle, soit gentil pour une fois.
J'suis sûr que t'es grognon parce que t'as un canap' en skaï.
Tu viens pourrir ce topic parce que tu ne sais plus quoi raconter sur le covid dans ton topic d'actualité du coronavirus BFMCNEWSLCI où viennent se branler tous les experts du forum, y a même un médecin, c'est tout comme dans les médias!
Karantez-vro... Breizhad on ha lorc'h ennon !
«Les animaux sont mes amis. Et je ne mange pas mes amis.» George Bernard Shaw
https://www.l214.com/
En ligne
#1655 Le 08/05/2020, à 07:25
- Compte supprimé
Re : La p'tite heure du café philo
murph a écrit :GR 34 a écrit :Mon rappel était donc justifié, tu as le QI déplorable d'un ado boutonneux qui passe son temps à harceler.
Allez Tatie Danièle, soit gentil pour une fois.
J'suis sûr que t'es grognon parce que t'as un canap' en skaï.Tu viens pourrir ce topic parce que tu ne sais plus quoi raconter sur le covid dans ton topic d'actualité du coronavirus BFMCNEWSLCI où viennent se branler tous les experts du forum, y a même un médecin, c'est tout comme dans les médias!
A ce que je vois c'est plutôt toiqui pourri ce topic. Ton (jack)pote va pas être content.
y a même un médecin
Sympa la petite bassesse gratuite pour celui qui bosse et qui n'a peut être pas le temps de venir se défendre.
Du GR 34 tout craché. Une marque de fabrique.
Dernière modification par Compte supprimé (Le 08/05/2020, à 07:27)
#1656 Le 08/05/2020, à 07:34
- GR 34
Re : La p'tite heure du café philo
GR 34 a écrit :murph a écrit :Allez Tatie Danièle, soit gentil pour une fois.
J'suis sûr que t'es grognon parce que t'as un canap' en skaï.Tu viens pourrir ce topic parce que tu ne sais plus quoi raconter sur le covid dans ton topic d'actualité du coronavirus BFMCNEWSLCI où viennent se branler tous les experts du forum, y a même un médecin, c'est tout comme dans les médias!
A ce que je vois c'est plutôt toiqui pourri ce topic. Ton (jack)pote va pas être content.
Ton argumentaire : c'est celui qui le dit qui est !
GR 34 a écrit :y a même un médecin
Sympa la petite bassesse gratuite pour celui qui bosse et qui n'a peut être pas le temps de venir se défendre.
Du GR 34 tout craché. Une marque de fabrique.
Se défendre de quoi ? Complètement naze ce que tu racontes.
J'ai dit qu'il y a même un médecin parce que c'est pareil que dans les médias : une foule de médecins vient se branler pour dire tout un jour et son contraire le lendemain.
Karantez-vro... Breizhad on ha lorc'h ennon !
«Les animaux sont mes amis. Et je ne mange pas mes amis.» George Bernard Shaw
https://www.l214.com/
En ligne
#1657 Le 08/05/2020, à 08:31
- Compte anonymisé
Re : La p'tite heure du café philo
#1658 Le 09/05/2020, à 11:45
- Compte supprimé
Re : La p'tite heure du café philo
Se défendre de quoi ? Complètement naze ce que tu racontes.
J'ai dit qu'il y a même un médecin parce que c'est pareil que dans les médias : une foule de médecins vient se branler pour dire tout un jour et son contraire le lendemain.
Tu veux dire que Toboggan vient se branler dans le topic pour dire tout un jour et son contraire le lendemain ?
Tu ne serais pas en train de ramer dans le sable là ?
Dernière modification par Compte supprimé (Le 09/05/2020, à 11:46)
#1659 Le 10/05/2020, à 10:44
- Compte anonymisé
Re : La p'tite heure du café philo
Bonjour,
Il y a quelques jours, j’ai échangé quelques mots avec un cousin new-yorkais, il va bien, merci, mais, a-t-il précisé, il est plus que temps de renoncer au confinement. On ne peut pas sacrifier l’économie pour sauver les vieux. Je précise que mon cousin est âgé de 70 ans. Autrement dit, il considère son décès potentiel, ici et maintenant, comme un risque à courir pour préserver son mode de vie. Juste retour des choses, considère-t-il, que ce ne soit pas toujours aux jeunes d’être envoyés au front et sacrifiés sur l’autel de la patrie. Il est vrai qu’il n’est ni pauvre, ni noir (pas plus que chicano ni native), ni obèse, ni hypertendu, mais avocat florissant, “cauc” (“caucasien” donc blanc, selon la terminologie en vigueur là-bas) et bien portant : j’imagine les flots de virus s’écartant devant son stylo comme la mer Rouge devant le bâton de Moïse.
Reste que son raisonnement m’a surpris. Il est plus démocrate que républicain, et je l’imaginais sur une ligne moins naïve et pour tout dire moins brutale que, par exemple, ces hommes et femmes qui ont brandi des drapeaux confédérés sur le parvis du capitole du Michigan en braillant, fusils d’assaut à l’appui, que le stay at home order (“ordre de confinement”) menace leurs libertés fondamentales, et que la gouverneure de l’État, Gretchen Whitmer, était une nazie (“Heil Whitmer”, indiquait une pancarte).
Liberté contre sécurité, économie contre santé. Il faut remonter aux années 1890, écrit un politologue américain, pour trouver “une polarisation aussi amère” que celle des États-Unis en ce moment. À tel point que le thème, rebattu depuis plusieurs décennies par des auteurs d’anticipation, d’une seconde guerre de Sécession – États du Sud et du Centre contre ceux de l’Est et de l’Ouest, théocratie bigote contre technos ultralibéraux – ne paraît certes pas pour demain mais un poil moins invraisemblable.
Le fait est que toutes les démocraties, et la France parmi elles, sont aujourd’hui “polarisées”. Et chacune essaye d’anticiper les crises à venir. Ce n’est pas une mince affaire remarque Hannah Arendt. Elle soutient que “c’est seulement lorsque quelque chose d’irrévocable s’est produit qu’on peut s’efforcer de déterminer à rebours son histoire. L’événement éclaire son propre passé ; il ne peut jamais en être déduit” (Compréhension et Politique, 1953). En d’autres termes, un événement déborde les chaînes causales, les transcende et fait surgir de la nouveauté, par définition imprévisible. L’événement éclaire son passé, pas son futur.
Il me semble qu’Arendt a raison. Et que la sortie du confinement va en dire long sur le passé de ce que nous vivons. Comme la marée descendante, le déconfinement va dévoiler ce qui était recouvert par les flots (d’anxiété, de fatigue, d’ennui…). Et à côté de multiples petits trésors, nous allons découvrir des pneus, des bidons, de vieilles godasses, des casiers à homards et des épaves rouillées ou, pour le dire avec des mots qui sentent moins le varech, à côté de solidarités et autres petites bienveillances, nous allons noter des promesses non tenues, des engagements oubliés, des avertissements écartés, des mensonges éhontés et des petites ou grandes lâchetés. Au-delà du soulagement, la mise à nu de ce passé va libérer de la rancœur, de la violence et du ressentiment. Sous quelles formes ? Personne n’en sait rien. Mais tout événement est aussi porteur d’espoirs. Avec lui, écrit Arendt, vient “un paysage inattendu d’actions, de passions et de nouvelles potentialités”. Et peut-être, pour une fois, pourra-t-il éclairer l’avenir ? Être une sorte d’avertissement, chèrement payé, mais bénin face aux conséquences du réchauffement climatique ? Car si notre époque est “polarisée”, que dire de ce qui attend les générations qui nous suivent ?
#1660 Le 14/05/2020, à 06:40
- Compte anonymisé
Re : La p'tite heure du café philo
Entretien
Cyrille Javary : “Les Chinois savent très bien que le futur est imprévisible”
Les Chinois ont-ils mieux géré la crise du Covid-19 que les Occidentaux ? D’après le sinologue Cyrille Javary, qui fonde son analyse sur l’antique “Yi Jing”, le “livre des transformations”, la culture chinoise serait en tout cas mieux préparée à l’imprévu que l’Occident, habitué aux plans stricts et aux perspectives bien cadrées.
Vous avez beaucoup travaillé sur le Yi Jing, un ensemble de 64 hexagrammes décrivant des situations types. Un hexagramme en particulier vous semble-t-il correspondre à la situation que nous vivons aujourd’hui ?
- Cyrille Javary : Le premier qui me vient à l’esprit est l’hexagramme 7, « armée », qui décrit un état de guerre. L’état de guerre est traditionnellement perçu en Chine comme une lutte contre une invasion venue de l’extérieur, ce qui est arrivé plusieurs fois au cours de son histoire, au XIIIe siècle avec les Mongols, au XVIIe siècle avec les Mandchous et au XIXe siècle par les Occidentaux. La colonisation par la force n’est pas dans leur tempérament. Le mot « guerrier », « martial », wǔ (武), s’écrit d’ailleurs en combinant l’idéogramme « lance » (戈) et le verbe « arrêter » (止). La seule justification valable de la guerre, c’est d’arrêter les lances ennemies ! Mais, dans l’actuelle situation de pandémie, l’hexagramme 7 a plus à nous dire qu’une simple lutte contre l’invasion sournoise d’un agent pathogène. Parce que l’esprit chinois caractérise l’état de guerre moins par la bataille que par une inversion des fonctions, des hiérarchies politiques et sociales. Chacun des six niveaux, des six lignes des hexagrammes, est associé à une fonction spécifique, à laquelle correspond une dynamique particulière. Le cinquième niveau d’un hexagramme est celui du souverain, dont la fonction usuelle est de décider, et qui donc doit préférentiellement être occupé par une énergie yang (représentée par un trait continu). Le second niveau, celui du préfet dont la fonction est de donner une réalité pratique aux décisions prises par le souverain, il est préférable qu’il soit occupé par une énergie yin (représentée par un trait redouble). Or, dans l’hexagramme 7, le niveau du souverain est occupé par un trait yin et le seul trait yang est celui du préfet ! Celui qui normalement commande suit, celui qui normalement applique commande dans cette situation. L’ordre hiérarchique usuel est inversé, comme aujourd’hui la santé des citoyens a pris le pas sur les nécessités économiques. Enfin, pour faire face à l’invasion, le septième hexagramme conseille la mobilisation totale. Ce fut bien le cas lors du confinement de mars à mai.
D’autres hexagrammes vous semblent-ils intéressants ?
- Oui. L’hexagramme 21, par exemple : « Mordre et unir », qui donne comme conseil de « rétablir brutalement l’harmonie ». Une mesure radicale qui ressemble bien au fait d’enfermer tout le monde à double tour ! L’hexagramme 29, « S’entraîner au passage des ravins », peut aussi faire sens dans la mesure où il nous encourage à vaincre notre peur. Et encore l’hexagramme 32 : « Endurer », qui conseille de s’armer le cœur pour un long voyage. Car, en effet, l’avenir est incertain. La seule chose certaine, me disait il y a peu un ami, c’est qu’en mai on va vers l’été. Or le conseil de l’hexagramme 32 revient presque toujours à dire : « Arme toi de patience, la situation va durer plus longtemps que tu ne le penses. » On ne court pas un marathon comme un 100 mètres !
Pour vous, Le Yi Jing n’est pas un ouvrage de divination mais un manuel d’aide à la prise de décision ?
- Le Yi Jing ne prédit pas l’avenir – les Chinois savent très bien que le futur est imprévisible, que le cours du monde est placé sous le signe de l’impermanence et que, comme le dit le Yi Jing, « la seule chose qui ne changera jamais, c’est que tout change toujours tout le temps ». Quel voyant avait prévu la situation que nous sommes en train de vivre ? Il s’agit peut-être d’une mutation importante de nos sociétés mais le mot « mutation » que l’on a longtemps accolé au Yi Jing ne lui convient pas. Ce n’est pas un ouvrage d’alchimiste. Du plomb en or, la transmutation alchimique est brusque et irréversible, alors que le constant passage du jour Yang à la nuit Yin et inversement est tranquille et continuel. Cela dit, il est compréhensible que le Yi Jing passe pour un ouvrage ésotérique et divinatoire aux yeux d’un Occidental, car sa pratique se fonde sur l’utilisation du hasard. Cependant, les conseils proposés par le Yi Jing sont redoutablement efficaces, toutes les personnes qui ont eu un jour recours au Yi Jing comme manuel d’aide à la prise de décision vous le diront. C’est comme l’acupuncture, la prise des pouls, la pose des aiguilles, cela paraît ésotérique, et pourtant cela fonctionne. Pour l’esprit chinois, ce qui compte, c’est l’efficacité plus que la rationalisation de cette efficacité ! Un vieux proverbe chinois dit : « Est vrai ce qui réussit, est faux ce qui échoue. »
En parlant de médecine, vous avez publié un petit texte à propos de l’expression « patient zéro », que l’on entend beaucoup en ces temps d’épidémie…
- C’est une expression qui n’a aucun sens d’un point de vue sémantique ! Ce qui nous intéresse n’est pas le patient numéro 0 mais le patient 1, le premier contaminé. Nous l’appelons « patient zéro » car, dans la tradition judéo-chrétienne qui continue à imprégner l’Occident, toute chose provient d’une création ex nihilo (par Dieu). Tout ce qui existe sort de rien, et possède un commencement. Les Chinois pensent les choses très différemment. Le chiffre 0 n’existe pas, d’ailleurs. Quand ils ont besoin de l’écrire, les Chinois utilisent le signe 零 (líng) qui signifie « pluie extrêmement fine ». Ce n’est pas un néant, un vide total, il y a encore un niveau d’être infime.
Un autre aspect fondamental de la pensée chinoise, c’est, comme on le voit dans le Yi Jing, l’attention à la singularité des situations, n’est-ce pas ?
- Exactement. Il s’agit toujours de prendre en compte la spécificité momentanée d’une situation et d’en déduire, pragmatiquement, une stratégie adaptée, opportune. Mais les situations ne sont jamais perçues comme figées, elles sont prises dans un continuel devenir. Pour un esprit occidental, rentrer dans la pensée chinoise, c’est passer de la photo à la vidéo, considérer les choses dans leur processus et non dans leur état. L’enjeu est donc d’analyser l’organisation énergétique, en termes « Yin-Yang », d’une situation pour discerner vers où elle se dirige. Être attentif aux germes des changements à venir qui sont présents dans l’état actuel. Un peu comme un chauffagiste qui, inspectant votre chaudière, vous dirait qu’elle est fichue. Elle fonctionne encore, oui, mais elle est si abîmée qu’elle risque de tomber en panne à tout moment. Quand ? On ne peut pas le dire, mais, d’après le chauffagiste, son avenir est compromis. Le futur existe dans le présent sous la forme d’une potentialité, non encore actualisée. On retrouve d’ailleurs le premier élément qui compose le mot potentiel (潜力, qiin li littois en ro, littéralement : « force cachée sous l’eau »), dans l’hexagramme 1 « élan créatif », pour caractériser le dragon « tapi dans l’onde ». La puissance créatrice, dont la dragon est l’emblème, est là, sous-jacente, mais elle n’est pas encore en action ; le dragon ne s’est pas encore envolé pour dispenser d’en haut du ciel la pluie bienfaisante. Le potentiel évoque quelque chose qui existe déjà sans encore être vraiment là, comme l’été un jour de printemps balayé par une pluie froide.
Ce pragmatisme en continuel devenir est-il étranger à l’esprit occidental ?
- En grande partie, oui. Et cela pour des raisons linguistiques et grammaticales, car les mots sont les outils avec lesquels on pense. Prenons comme exemple le slogan utilisé par Deng Xiaoping pour lancer sa politique de réforme un vieux proverbe populaire 摸着石头过河, mō zhe shí tou guò hé : « traverser la rivière en tâtant les pierres. » La traduction est mot pour mot exacte, mais l’organisation grammaticale de la phrase française dissout le pragmatisme de ce vieux proverbe chinois.
Comment cela ?
- En lui substituant le principe de la modélisation cartésienne : 1. Définition du but, formalisation de l’objectif ; 2. Détermination des moyens pour y parvenir. En réalité, le chinois dit : « tâter les pierres, traverser la rivière ». C’est tout à fait différent ! Il s’agit de procéder pas à pas, en vérifiant la stabilité de chaque pierre et en rejetant celles qui vacillent. Le regard occidental est horizontal, privilégiant l’objectif sur le chemin pour y parvenir. Alors que le regard chinois est concentré sur le moment, sur la pierre qu’on teste. Et c’est ainsi qu’au final, si tout va bien, on finira par avoir traversé la rivière. Certes, la politique chinoise est planificatrice, mais le gouvernement est tout à fait capable d’ajuster les plans et même d’en changer s’ils ne fonctionnent pas. Il s’agit toujours de procéder pas à pas, en tâtonnant, en essayant sur un échantillon avant d’élargir la stratégie.
À quels exemples pensez-vous ?
- Voyez comment s’est opérée la suppression des communes populaires : Deng Xiaoping a commencé par décollectiviser une seule province, le Sichuan, au début des années 1980, puis il a étendu le processus au pays entier. Même chose avec les Zones économiques spéciales : la première a été instauré à Shenzhen, puis l’idée a été démultipliée. Il en va de même quand le régime est confronté à une crise, par exemple à Hongkong l’année dernière. Le gouvernement a adopté une stratégie en deux temps : d’abord laisser les rancœurs s’exprimer, même violemment, puis reprendre en main a situation de manière autoritaire. Ce fut aussi cette stratégie qui a été adoptée pour gérer l’épidémie actuelle : d’abord cacher l’existence du virus et faire taire ceux qui en révélaient la dangerosité, comme le docteur Li Wenliang – peut-être pour se laisser le temps de préparer des mesures de lutte contre l’épidémie –, avant de la révéler au grand jour et de la combattre avec une efficacité redoutable.
Cette efficacité s’expliquerait donc par la grande capacité d’adaptation de la pensée chinoise ?
- Certainement. Entendons-nous bien, je ne suis pas un admirateur du régime chinois mais de la manière chinoise de procéder. Plus fluide, plus souple, cela la rend capable d’adaptation rapide face à l’événement. L’imprévu nous apparaît presque toujours, en Occident, comme une entrave, un obstacle à surmonter. Dans l’approche chinoise, l’imprévu a quelque chose de stimulant, comme le montre l’injonction stratégique « profitable de traverser le grand fleuve » qui revient à dix reprises dans le Yi Jing. Cette phrase conseille de se jeter à l’eau, de dépasser ses peurs, de mettre à l’épreuves ses capacités, de dépasser son fonctionnement habituel en se confrontant à l’inconnu.
Pour la pensée chinoise, une crise est donc toujours à la fois un danger et une opportunité ?
- Le système politique chinois sait très bien gérer les crises, comme le soulignait François Godement dans une tribune récente. Il a géré le tremblement de terre de 2008, il a géré le Sras, etc. Y compris en faisant des erreurs ! Le mot « crise », 危机 (wēijī), est d’ailleurs composé de deux éléments. Le premier signifie « col de montagne, passage difficile à franchir, moment critique » ; le second désigne un ressort, une opportunité. Comme souvent, la pensée chinoise est capable de tenir ensemble ce que nous percevons comme des opposés. Une crise est un moment difficile à franchir ; mais elle ouvre en même temps des opportunités auxquelles on n’aurait pas pensé autrement. Le poète anglais William Blake exprimait cette idée à sa manière : « bénédiction lénifie, malédiction tonifie ». Quand tout va bien, on s’endort, quand ça va mal, on se réveille.
Qu’en est-il en Occident ?
- Cette ambivalence de la crise n’est pas familière pour un Occidental. Inventé à la Renaissance pour désigner une arythmie cardiaque, le mot « crise » a à l’origine une connotation très angoissante. Pourtant, la crise que nous vivons pourrait à de nombreux égards être l’occasion de changer certaines de nos manières de faire – de réaliser l’erreur de vouloir gérer un hôpital comme des entreprises, de prendre conscience du danger qu’il y a à faire produire 70 % de nos médicaments à 9 000 km, de prendre goût au télétravail, etc.
Mais nous sommes inhibés par l’idée de changement…
- C’est vrai, nous avons en général beaucoup de mal à accepter les changements. Pas les Chinois. Une blague de Shanghai le raconte bien : Madame Li qui habite une petite maison dans la concession française, sort pour aller au marché et y rencontre Madame Wang. Elles bavardent à propos des affaires du quartier. Et quand elle rentre chez elle, Madame Li trouve à la place de sa petite maison un building de dix-huit étages. Sa réaction ? « Je ne savais pas que j’étais si bavarde ! » Le changement ne la choque pas !
Cela veut-il dire que, pour la pensée chinoise, l’homme est le jouet du destin ?
- François Cheng raconte, dans Le Dit de Tianyi, comment le personnage humain a pris une place centrale dans la peinture européenne à partir de la Renaissance, alors que naissait l’humanisme. Graduellement, le paysage est devenu secondaire. Il est toujours là, derrière la Joconde par exemple, mais on ne le regarde plus. Dans la peinture chinoise de paysage, l’humain est toujours présent, mais incorporé à la nature, sous la forme d’une chaumière, d’un pêcheur sur une barque au loin. C’est l’image même de la part de responsabilité qui revient à l’homme dans la pensée confucéenne : 98 % de ce qui nous arrive ne dépend pas de nous. Mais il nous revient de faire quelque chose de ce lot qui nous échoit. L’action humaine, ce sont les 2 % restants. Nous choisissons peu de choses, mais nous avons tout de même notre part de responsabilité. Nous sommes coresponsable. Épouser le cours des choses ne revient donc pas à se considérer comme le jouet du destin.
Comment le régime chinois appréhende-t-il l’après-épidémie ?
- Qui peut répondre à une telle question ? Les dirigeants chinois eux-mêmes le peuvent-ils ? Difficile à dire sans être dans les arcanes du pouvoir ! Je ne crois pas, cependant, que la crise actuelle ait changé les deux grandes dates qui occupent Xi Jinping sur le long terme : 2021, le 80e anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois, qui aura alors duré plus longtemps que son « grand frère » soviétique ; et 2049, le centenaire de la fondation de la Chine nouvelle.
(Propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron)
#1661 Le 14/05/2020, à 06:53
- Compte anonymisé
Re : La p'tite heure du café philo
Diffusé hier soir sur France 5 : A quoi sert la philosophie ?
Edit : Je ne suis pas sûr que le terme "servir à" convienne bien pour la philosophie. Surtout en temps de crise. Parce qu'en ce qui me concerne, j'avouerai humblement alors que durant la période de confinement obligatoire, elle ne m'a "servi" strictement à rien.
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 14/05/2020, à 06:56)
#1662 Le 15/05/2020, à 13:11
- Flothereturn
Re : La p'tite heure du café philo
Diffusé hier soir sur France 5 : A quoi sert la philosophie ?
Edit : Je ne suis pas sûr que le terme "servir à" convienne bien pour la philosophie. Surtout en temps de crise. Parce qu'en ce qui me concerne, j'avouerai humblement alors que durant la période de confinement obligatoire, elle ne m'a "servi" strictement à rien.
Est-ce que ça se limite au confinement... ?
Hors ligne
#1663 Le 15/05/2020, à 14:32
- Flothereturn
Re : La p'tite heure du café philo
Mais t'inquiète pas, si la philo te sert à rien, à mon avis c'est réciproque.
Hors ligne
#1664 Le 19/05/2020, à 09:50
- Compte anonymisé
Re : La p'tite heure du café philo
Me paraît plus intéressant l'homme qui contemple la montagne que l'idiot non utile qui regarde l'homme contempler la montagne.
#1665 Le 19/05/2020, à 18:49
- Flothereturn
Re : La p'tite heure du café philo
Me paraît plus intéressant l'homme qui contemple la montagne que l'idiot non utile qui regarde l'homme contempler la montagne.
Et si c'était l'homme la montagne ?
Hors ligne
#1666 Le 19/05/2020, à 19:29
- Compte anonymisé
Re : La p'tite heure du café philo
jackpot a écrit :Me paraît plus intéressant l'homme qui contemple la montagne que l'idiot non utile qui regarde l'homme contempler la montagne.
Et si c'était l'homme la montagne ?
Y aurait alors deux idiots et non plus un seul :
1) Celui qui se prendrait pour la montagne
2) Celui qui envierait celui se prenant pour la montagne
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 19/05/2020, à 19:38)
#1667 Le 20/05/2020, à 17:25
- sucarno
Re : La p'tite heure du café philo
Salut à tous,
Il est un sujet qui me turlupine depuis mon enfance, et pour lequel je trouve pas de réponse.
Il a été bien formulé par P. J. Prudhon : " « la propriété c'est le vol, l'esclavagisme c'est l'assassinat ».
Partagez-vous le même point de vue ?
Si vous êtes d'accord, je prendrai le prochain vol pour réclamer mon du dans les pays celtiques !
Dernière modification par sucarno (Le 20/05/2020, à 17:25)
« Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ». Étienne de La Boétie
Hors ligne
#1668 Le 20/05/2020, à 17:41
- GR 34
Re : La p'tite heure du café philo
Salut à tous,
Il est un sujet qui me turlupine depuis mon enfance, et pour lequel je trouve pas de réponse.
Il a été bien formulé par P. J. Prudhon : " « la propriété c'est le vol, l'esclavagisme c'est l'assassinat ».Partagez-vous le même point de vue ?
Si vous êtes d'accord, je prendrai le prochain vol pour réclamer mon du dans les pays celtiques !
Il faut remettre Proudhon dans le contexte politique et social de son époque, le XIXeme siècle et qu'il était anarchiste.
Qu'est-ce que la propriété ? Pour l'esclavage, on sait ça n'a pas changé.
Georges Marchais, longtemps stalinien possédait son pavillon de banlieue avec son petit jardin. Est-ce voler la société que d'échanger contre de l'argent, obtenu par la force de son travail, son toit ?
Est-ce que la simple possession d'une chemise, d'un vélo, d'un smartphone c'est de la propriété ? Recevoir un salaire justement gagné est-ce de la propriété d'argent ?
Dernière modification par GR 34 (Le 20/05/2020, à 17:43)
Karantez-vro... Breizhad on ha lorc'h ennon !
«Les animaux sont mes amis. Et je ne mange pas mes amis.» George Bernard Shaw
https://www.l214.com/
En ligne
#1669 Le 20/05/2020, à 17:59
- Compte anonymisé
Re : La p'tite heure du café philo
Proudhon parlait de la propriété des moyens de productions. Pas de la propriété de ses biens privés.
Sauf erreur de ma part, bien sûr.
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 20/05/2020, à 18:00)
#1670 Le 20/05/2020, à 18:05
- sucarno
Re : La p'tite heure du café philo
sucarno a écrit :Salut à tous,
Il est un sujet qui me turlupine depuis mon enfance, et pour lequel je trouve pas de réponse.
Il a été bien formulé par P. J. Prudhon : " « la propriété c'est le vol, l'esclavagisme c'est l'assassinat ».Partagez-vous le même point de vue ?
Si vous êtes d'accord, je prendrai le prochain vol pour réclamer mon du dans les pays celtiques !
Il faut remettre Proudhon dans le contexte politique et social de son époque, le XIXeme siècle et qu'il était anarchiste.
Qu'est-ce que la propriété ? Pour l'esclavage, on sait ça n'a pas changé.
Georges Marchais, longtemps stalinien possédait son pavillon de banlieue avec son petit jardin. Est-ce voler la société que d'échanger contre de l'argent, obtenu par la force de son travail, son toit ?
Est-ce que la simple possession d'une chemise, d'un vélo, d'un smartphone c'est de la propriété ? Recevoir un salaire justement gagné est-ce de la propriété d'argent ?
Tout comme l'auteur, d'une manière générale, il s'agit de la terre et de celui qui loue la terre pour la cultiver, et les travailleurs qui sont exploités par le propriétaire de la terre, et qu'à la fin les bénéfices ne sont pas partagés selon le travail fourni, mais selon les droits à la propriété !
C'est pas logique, c'est dingue !
« Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ». Étienne de La Boétie
Hors ligne
#1671 Le 21/05/2020, à 17:05
- Compte anonymisé
Re : La p'tite heure du café philo
Eduardo Viveiros de Castro : “Ce qui se passe au Brésil relève d’un génocide”
Alors que le Brésil est en train de devenir l’un des principaux foyers de la pandémie de Covid-19, l’anthropologue Eduardo Viveiros de Castro tire la sonnette d’alarme sur les effets ravageurs de la politique du président Jair Bolsonaro. Il nous explique également en quoi la pandémie fait de nous tous des “Indiens”, expropriés de nos terres et de nos corps.
Vous êtes confiné depuis deux mois à la campagne dans les environs de Rio de Janeiro où vous enseignez habituellement à l’Université fédérale. Quelle est la situation au Brésil ?
- Eduardo Viveiros de Castro : La situation est catastrophique et elle empire de jour en jour. Touché plus tardivement que les autres, le Brésil est en passe de devenir l’épicentre de la pandémie. Officiellement, il y aurait à ce jour 250 000 contaminés et 17 000 décès. Mais, selon plusieurs études indépendantes, il y aurait de 2 à 3,5 millions de contaminés, l’un des taux de contagiosité les plus élevés au monde, et le nombre de victimes pourrait s’élever à près de 200 000 d’ici à quelques mois. Et, pourtant, le président de la République persiste dans son attitude de déni, s’opposant aux mesures de distanciation physique et de confinement que prennent les maires et les gouverneurs des États [le Brésil est un État fédéral]… et incitant ses partisans à les remettre en question. Tout cela pendant que les personnels de santé se démènent de façon héroïque pour lutter contre l’épidémie. La situation est donc vraiment effrayante. Ce qui est en train de se passer au Brésil, et je pèse mes mots, relève d’un génocide : un génocide par négligence ou incompétence pour certains responsables, mais un génocide délibéré pour les autres. Car le gouvernement de Bolsonaro serait très content de pouvoir se débarrasser non seulement des Indiens – qui résistent à ses projets d’exploitation de l’Amazonie – mais également d’une partie de la population pauvre – celle qui n’aura plus accès aux soins quand le système de santé va saturer. L’épidémie va avoir le même effet qu’un nettoyage ethnique chez ceux qui dépendent de l’assistance publique. C’est terrible à dire, mais au Brésil, l’État est un allié de la pandémie. Sans compter la crise économique, avec notre monnaie, le réal, qui a plongé. On est dans une perfect storm [« tempête parfaite »] : une pandémie, une crise économique mondiale, des dirigeants politiques monstrueux !
Les ministres de la Santé ont été limogés ou ont démissionné. Et le président Jair Bolsonaro est allé jusqu’à parler d’un « complot international pour utiliser la pandémie et instaurer le communisme »…
- Si au moins on pouvait en rire, mais on n’a même pas cette possibilité, tant la situation est tragique. Bolsonaro est un homme au bord de la psychopathie, un danger public. Voyez son mentor, l’idéologue Olavo de Carvalho, un astrologue-philosophe doublé d’un anticommuniste délirant qui vit aux États-Unis, en Virginie, d’où il débite des propos délirants à des millions de followers sur YouTube. C’est le nouveau Raspoutine du Brésil !
Vous avez évoqué la résistance des maires et des gouverneurs d’États. Comment se manifeste-t-elle ?
- Les écoles primaires qui relèvent de la municipalité, les écoles secondaires et les universités administrées par les gouverneurs ont été fermées. Même les universités fédérales ont fermé sur décision de leurs recteurs, en opposition à leur autorité de tutelle. Le Brésil a toujours été un régime politique fédéral. Mais c’est la première fois que surgit un conflit de cette intensité entre le gouvernement central et les autres niveaux de pouvoir, sur le confinement en particulier. Étant donné l’état du système de santé publique brésilien et l’absence de test et d’équipements, c’est le seul moyen de ralentir l’expansion de l’épidémie. Or que voit-on ? Un gouvernement central qui, avec l’appui d’une minorité de supporters et de fanatiques – même s’ils forment près de 25 % de la population –, se retourne contre sa propre population, et qui essaie de forcer les gens à reprendre le travail, à coup d’informations mensongères sur des médicaments miraculeux, de menaces, de décrets (encore en gestation)… Et, dans les rues de Rio, de São Paulo et d’autres capitales, des adeptes de Bolsonaro se déplacent à bord de voitures de luxe pour haranguer les habitants et les inciter à retourner au travail… Nous sommes dans une atmosphère de guerre civile en gestation, avec des discours racistes de plus en plus assumés. Et tout cela se fait avec l’appui du grand capital – sans le soutien duquel rien ne se fait au Brésil !
Quelle est la position de l’armée ?
- C’est le troisième élément dans l’équation. Elle jouit d’un très grand prestige ici et soutient Bolsonaro. Il faut dire qu’il lui a fait une place d’honneur dans son gouvernement qui compte plus de militaires que n’en a jamais compté aucun gouvernement, même pendant la dictature. Les militaires soutiennent les institutions plus que le personnage imprévisible de Bolsonaro, mais ils apprécient quand il affirme être favorable à l’usage de la torture. Le Brésil n’a pas réglé ses comptes avec le passé, à travers de grands procès, comme par exemple en Argentine. Nous subissons les conséquences de cette lâcheté politique qui nous a empêché de régler nos comptes avec le passé.
Qu’en est-il des Indiens d’Amazonie que vous avez beaucoup fréquentés. On les dit particulièrement exposés à l’épidémie du fait d’un système immunitaire moins habitué aux épidémies ?
- Historiquement, les Indiens sont « experts » en épidémie, ils ont été décimés lors de l’arrivée des colonisateurs européens. Aujourd’hui, il faut distinguer les groupes indigènes isolés de ceux qui ont des contacts réguliers avec la société environnante. Ces derniers ont à peu près la même résistance immunitaire que les non-indigènes, ils sont aussi vulnérables que nous au Covid-19. En revanche, les populations isolées, elles, sont beaucoup plus vulnérables. Officiellement, sur les 300 peuples officiellement reconnus comme indigènes, 34, soit un peu plus de 10 %, seraient déjà atteints. Et il y aurait 308 individus indigènes déjà contaminés, dont 80 morts. Mais ici aussi les chiffres sont très probablement sous-estimés. L’État d’Amazonas est le troisième État le plus atteint par la pandémie alors qu’il n’a qu’un dixième de la population de São Paulo, l’État le plus atteint – les autres États très atteints étant Rio et Céará, ce dernier dans le nord-est du pays. L’Amazonas est en train d’être ravagé. Et pas seulement les villes d’Amazonie. La maladie se répand aussi dans la forêt. Avec le confinement, les ONG qui protégeaient ces territoires ont été mises à l’arrêt. Des régions entières sont en train d’être envahies par les orpailleurs, par l’exploitation forestière clandestine… et par les missionnaires évangélistes, à qui Bolsonaro a donné carte blanche pour s’infiltrer dans les terres indigènes. Ce président cauchemardesque essaye de faire passer des décrets pour légaliser l’appropriation illégale des terres. Un dicton brésilien dit que le propriétaire d’une terre en Amazonie, c’est celui qui la déboise. Jusqu’ici, c’était une pratique très répandue mais illégale – ce qui ne voulait pas dire grand-chose en termes pratiques, mais tout de même… Or le gouvernement est en passe de légaliser un procédé d’auto-déclaration où il suffirait aux envahisseurs de se déclarer propriétaires d’un terrain. Le Brésil est en train de tomber dans l’anomie, la désintégration sociale au sens où l'entendait le sociologue français Émile Durkheim. Une campagne d’extermination culturelle contre les indigènes est en cours depuis longtemps déjà. Tout se passe comme si le Covid-19 avait ouvert la perspective d’une extermination physique définitive.
Dans le monde entier, on attend de l’État qu’il protège les populations mais on critique l’emprise qu’il exerce du même coup sur elles. Cette difficulté semble redoublée dans le cas des Indiens. Par leurs mœurs politiques, ce sont des sociétés « contre l’État » pour reprendre la formule de l’anthropologue Pierre Clastres. Mais elles sont contraintes aujourd’hui d’en appeler à l’État pour protéger leurs terres et leurs corps contre le Covid…
- Je dirais que la contradiction est dans l’État lui-même plutôt que chez les Indiens. Faisons une analogie. Imaginez-vous dans une situation où vous devez payer pour être protégé de l’instance dont vous financez par ailleurs l’existence. Cela reviendrait à être confronté à la mafia, non ? Eh bien, c’est exactement ce qui arrive aujourd’hui avec l’État brésilien vis-à-vis non seulement des peuples indigènes mais de tout le monde en fait. En tant que citoyen, nous devons nous protéger contre cette machine de pouvoir dont les décisions sanitaires menacent en réalité notre survie. Et pour les Indiens, c’est encore pire. L’État s’acharne en effet depuis longtemps à les séparer de leurs terres et de leur corps. Et il ne fait rien pour les protéger de l’épidémie. Au contraire, il encourage ceux qui sont une menace directe pour eux, comme les orpailleurs. Alors, la contradiction peut-elle être surmontée ? Aujourd’hui, au Brésil, face à l’incurie de l’État, certains collectifs s’organisent pour prendre eux-mêmes en charge les tâches sanitaires, le respect des règles de confinement, etc. Au lieu d’attendre d’être protégé, on se protège soi-même. Pour répondre sur le fond, je crois qu’il faut opérer une distinction entre l’appareil d’État, qui peut être (qui l’est toujours, soyons honnêtes) capté par des intérêts et des factions particulières, et la chose publique, ce que certains appellent « le commun », que les individus peuvent être amenés à se réapproprier.
Vous avez écrit avec la philosophe Déborah Danowski, un essai, De l’univers clos au monde infini [Éditions Dehors], sur la transformation de nos catégories de pensée à l’heure de la crise écologique et de l’Anthropocène. Diriez-vous que l’épidémie du Covid-19 est un événement de l’Anthropocène ?
- Tous les événements qui surviennent dans notre monde appartiennent dorénavant à l’Anthropocène, puisque c’est l’ère dans laquelle nous vivons. Mais vous me demandez si l’épidémie est enchaînée causalement aux événements qui ont déclenché l’Anthropocène. Et, à mon avis, la réponse est également positive. Car la déforestation, l’augmentation des échanges transcontinentaux, la circulation des hommes sur le globe, la dissémination des monocultures (végétales et animales), l’intensification des rapports entre l’espèce humaines et les autres espèces animales, notamment sauvages… tout cela crée en effet de nouvelles générations de pandémie. À mes yeux, la crise du Covid-19 est un avant-goût de la grande catastrophe climatique qui nous attend, un raccourci contracté de ce qui risque de se passer dans les prochaines décennies. Elle nous laisse entrevoir les effets démultipliés de l’Anthropocène sur la migration, le ravitaillement, la vie économique. L’Anthropocène est un fait social et écologique « total » comme aurait dit Marcel Mauss. Il produit des événements « totaux ».
Vous avez proposé avec le « perspectivisme » un exercice mental inédit qui consiste à tenter d’adopter la perspective des autres cultures, notamment indienne, sur la nôtre. Quel serait une approche perspectiviste de cette pandémie ?
-Je ne sais pas trop s’il y a une approche perspectiviste du Covid. Mais ce qui est certain, c’est qu’il met en question les grands partages entre humain/non-humain, nature/culture, vivant/non-vivant qui sont les nôtres. Le virus est à la croisée du vivant et du non-vivant. Et, à son contact, nous comprenons que nous sommes nous-mêmes traversés par des interactions essentielles avec d’autres êtres qui nous composent et nous décomposent, qui font et défont nos corps.
Par le passé, les Indiens du Brésil ont failli disparaître sous le coup des épidémies que les colonisateurs européens leur avaient transmises. Y a-t-il une leçon à tirer de cette tragique expérience du passé, pour eux comme pour nous aujourd’hui ?
- Dans Saudades do Brasil, Claude Lévi-Strauss affirmait que nous étions en passe de devenir nous-mêmes des Indiens : « Expropriés de notre culture, dépouillés des valeurs dont nous étions épris – pureté de l'eau et de l'air, grâces de la nature, diversité des espèces animales et végétales –, tous indiens désormais, nous sommes en train de faire de nous-mêmes ce que nous avons fait d’eux. » C’est plus vrai que jamais. Nous sommes en train d’expérimenter, sous l’effet de notre propre action, ce que les Indiens ont vécu. On ne va pas perdre, comme eux, 90 % de notre population, mais les effets vont être profonds et durables.
Propos recueillis par Martin Legros
#1672 Le 22/05/2020, à 09:26
- Compte anonymisé
Re : La p'tite heure du café philo
Bon, sûr que c’est une réflexion qui aurait pu m’arriver en temps normal. Mais là, au cours de ces put 1 de sorties réglementaires en période de confinement, elle m’est apparue avec une évidence beaucoup plus claire.
Alors que je n’entendais plus de bruits de voitures et de motos, que je voyais plus de traces d’avions dans le ciel, plus de gens dans les rues, et alors que toute la Nature, elle, continuait de bruisser, d’exister et de vivre comme si de rien n’était….
C'était banal au fond - j'aurais pu éprouver cela dans une ville déserte à 3 heures du matin - mais, là, en plein jour, cela me paraissait quand même assez étonnant...
Oui, par exemple, sans présence humaines, les oiseaux, eux, continuaient de voler et de chanter sans problème. Dans les bois, dans les champs le pollen commençait à voleter dans les airs annonçant le renouveau printanier.
Alors le constat m’est apparu comme une révélation : la Nature peut fort bien se passer de nous alors que nous, nous ne pouvons pas nous passer d’elle.
Mais le pire est qu’alors que nous ne pouvons pas nous passer d’elle, nous la détruisons toujours plus, c’est un constat qui paraît chaque jour de plus en plus évident.
Sans oublier que, non seulement nous sommes toxiques pour elle, mais – contrairement au monde animal -nous sommes en plus nuisibles à nous mêmes parce que capable de nous entretuer sans rapport direct avec nos besoins vitaux (manger, respirer, dormir, nous reproduire etc.)
Alors j’ai essayé de me projeter dans le futur, un futur sans humains qui auraient disparu.
La Nature serait toujours là sans aucun souci.
Le seul problème, j’y pense, serait pour tous les animaux qui auront été colonisés et domestiqués par les hommes : que deviendraient les chiens, les chats etc... bref toute cette ménagerie « collaboratrice » de l’espèce humaine... sans hommes ni femmes pour continuer de la chouchouter, de la dorloter et de la nourrir ?
Probablement que tous ces animaux de servitude et de confort ne survivraient pas à le disparition de leurs maîtres et maîtresses : parce qu’ils n’auraient pas la force de lutter contre le monde animal sauvage beaucoup plus fort et « rôdé » à la lutte pour la vie, à la survie et à la reproduction des plus forts.
Mais Dame Nature, elle, serait toujours là sans souci. Et probablement qu'elle se porterait bien mieux sans nous !
Edit : Put 1 qu'est-ce que je suis bon ce matin !
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 22/05/2020, à 10:53)
#1673 Le 22/05/2020, à 10:29
- GR 34
Re : La p'tite heure du café philo
Karantez-vro... Breizhad on ha lorc'h ennon !
«Les animaux sont mes amis. Et je ne mange pas mes amis.» George Bernard Shaw
https://www.l214.com/
En ligne
#1674 Le 22/05/2020, à 19:22
- Flothereturn
Re : La p'tite heure du café philo
Put 1 qu'est-ce que je suis bon ce matin !
Une demie seconde en lisant j'avais espéré une contrepèterie,..
Hors ligne
#1675 Le 22/05/2020, à 19:23
- Flothereturn
Re : La p'tite heure du café philo
Flothereturn a écrit :jackpot a écrit :Me paraît plus intéressant l'homme qui contemple la montagne que l'idiot non utile qui regarde l'homme contempler la montagne.
Et si c'était l'homme la montagne ?
Y aurait alors deux idiots et non plus un seul :
1) Celui qui se prendrait pour la montagne
2) Celui qui envierait celui se prenant pour la montagne
Sauf qu'il y a une infinité d'idiots... qui se prennent pour une infinité de choses qu'ils ne sont pas.
Hors ligne